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l'huître de Francis Ponge

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l'huître de Francis Ponge Empty l''huître de Francis Ponge

Message par Admin Sam 23 Mai 2009 - 23:45

Introduction

L’huître, encore un de ces êtres muets que Ponge s’attache à dire, à parler, coquillage, somme toute, assez banal, il est précieux pour sa chair que l’on mange et pour la perle que rarement l’on trouve en lui, il est alors huître perlière. L’huître 1) est d’abord l’objet extérieur que je vois et dont perçois la rugosité et l’aspect quelque peu revêche, elle est ensuite 2) un monde intérieur, caché à mon regard auquel on n’accède qu’au prix d’un effort plutôt pénible, et de quelques coupures ; enfin révélant son être caché 3), elle donne au poème son sens dans l’image de la perle dont il est la formule ou la formulation.


Une apparence revêche

La première chose à quoi le poète compare l’huître est le galet, clin d’œil à son œuvre puisque le galet sera l’objet d’un poème à la fin du recueil, pourtant seule la dimension et peut-être le poids peuvent apparenter l’huître au galet, ce dernier ne possède pas d’intériorité, ce qu’il est à l’extérieur il le reste continûment jusqu’au tréfonds de lui-même à la différence de la seconde qui n’a d’apparence que parce qu’elle recèle une intériorité cachée, secrète. L’aspect de l’huître est donc ingrat, elle « est d’une apparence rugueuse », le galet reste poli, sinon même policé, l’huître revêche refuse toute civilité, elle évite le contact jusqu’à blesser qui la touche : « Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles ». C’est sa façon de se protéger de l’intrus, de le tenir à l’écart, on ne pourra l’atteindre que par une agression caractérisée, aidé « d’un couteau ébréché et peu franc », encore faudra-t-il porter des coups. Forteresse difficile à prendre, l’huître se défend et les coups qu’on lui porte laissent deviner sa beauté : « ronds blancs » et « sorte de halos ».
L’huître de Ponge se présente fermée au premier regard à la différence de celle de Lafontaine dans « Le rat et l’huître » ; aux regards du rat, jeune étourdi, une huître parmi tant d’autres, se présente ouverte « blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, non pareil ». Elle se refermera avant que le rat puisse en profiter, au rebours, celle de Ponge est d’abord fermée puis sera ouverte pour dévoiler ses trésors. Ce qui reste hors d’atteinte dans la fable, nous est ici livré : l’intérieur du mollusque.


Un monde intérieur

C’est en s’ouvrant que l’huître découvre sa merveille : « A l’intérieur l’on trouve tout un monde », elle est monde intérieur, caché, microcosme, c’est-à-dire petit univers. Elle contient un ciel « sous un firmament ». Le firmament c’est le ciel des étoiles fixe, sphère des fixes, en même temps dans « firmament » il y a « fermé » rappelant la fermeture de la coquille. Univers fermé, il ne se révèle qu’à qui sait y parvenir, l’huître devient une figure de l’initiation, ne pénètre dans son enceinte que celui qui sait percer son secret. Dans le monde créé par Dieu, elle tient, si l’on en croit Lafontaine, l’extrémité inférieure « Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huître et l’homme » (lettre à Mme de la Sablière). Extrémité ultime elle possède comme l’unité la totalité de la suite qui procède d’elle, et comme l’Un exprime le monde ; elle, elle le produit en son sein. Le monde n’est-il pas, aussi, boîte à bijoux, cosmos de produits cosmétiques l’huître dans sa petitesse renferme pourtant la totalité du ciel et de la terre jusqu’à reproduire leur origine cataclysmique : « les cieux d’en-dessus s’affaissent sur les cieux d’en-dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre », quand, dans les amours d’Ouranos et Gaïa, sphère supérieure céleste et sphère inférieure terrestre étaient unies dans une inséparable étreinte ; et qu’il fallût que Chronos châtrât son père Ouranos pour qu’il se séparât de sa mère Gaïa, et qu’ainsi puisse venir au jour de l’existence ce que recelait son sein. Celui qui ouvre l’huître répète ce geste cosmogonique qui donne naissance, dans la séparation et la perte des eaux, au monde. Ce geste sera-t-il suivi de l’autre, terrible, de Chronos, d’avaler ses enfants nés de la terre avant que le Chronide Zeus ne l’arrête ? La mer renaît tout entière dans ce flux et reflux de marée, de l’huître en elle-même.


La perle et le poème

Cosmos et « mundus », (le monde), sont ornement, parure et coffret à bijou, voici qu’en l’huître les deux sens se rejoignent, elle contient la perle, ornement, parure, et est « monde opiniâtrement clos », monde-univers, et monde-parure, coffret à bijoux, grande circularité du sens qu’ici elle produit, circularité aussi de l’espace, qu’elle contient dans l’opiniâtreté de sa clôture, jusqu’à la grande année du retour des cycles et trajectoires célestes dans le cataclysme de l’affaissement des cieux. Perle, elle possède en elle, toujours, la rotondité, celle des grands voyages qui ramènent à son point de départ, comme le poème dont la clôture fait l’unité du sens. Elle sécrète la perle, elle recueille le poème dont l’écriture en frange noire, « dentelle noirâtre sur les bords » constitue comme la limite de ce qu’elle est, et la limite est bien définition ; définir c’est délimiter, constituer un domaine de définition dans lequel s’exprime l’huître dite par les mots du poème.
Le poète a commis cette effraction de la chose « huître », s’y reprenant à plusieurs fois avec le « couteau ébréché » des mots qui ont servi à d’autres fins bien plus quotidiennes, ces mots qu’il lui faut utiliser sans pouvoir jamais les faire tout à fait siens. Ils les a empruntés à ce grand pot commun où chacun les a pris, repris et remis un peu plus usés à chaque fois. Pour dire l’huître il l’a détruite pour pénétrer son monde intérieur, découvrir comment ces mêmes mots réagissent à ses couleurs, ses formes, ses odeurs, et voici qu’à la place de l’huître il ne reste plus que « très rare une formule perle » comme dite par elle : « à leur gosier de nacre ». « Leur gosier » car elle s’est dédoublée telle qu’en elle-même elle suscite le poème, il perle de sa bouche, il s’en exprime.



Conclusion

Pour dire l’huître, il a fallu la détruire, illustration de ce qu’est le passage par les mots. Certes le poème est création, et tel est bien le sens de « ποίησις » en grec, mais créer passe par une destruction, tout créateur le dira, la création est précédée d’une « φθορά » d’une destruction. Tout ce que l’huître aurait pu être d’autre disparaît dans le fait qu’elle est maintenant dite, définie c’est-à-dire limitée. Chacun des mots devient une effraction qui expulse la chose de son lieu, de son « être là », dans la création des mots il y a ainsi un évanouissement de l’objet, la perle représente, alors, l’espoir d’une transmutation : quelque chose de l’huître est passé dans le poème sur le mode de la représentation ; par un étrange mimétisme, la perle dit le poème qui lui-même se concrétise dans cette image.



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